Ce que nous enseignent les enfants en difficulté d'écriture et de lecture (Suzanne CALICE)

Publié le par CMPP DE LA SOMME


             On se plaint de son écriture, de son incapacité à comprendre les règles de la grammaire. (...). Son écriture est lente et raide ; elle n'est ni timide ni mal formée. A vrai dire, cela est singulier : elle sait beaucoup et fort bien; ce n'est que quand on l'interroge qu'elle semble rien savoir. (...) Elle apprend, non comme si elle devrait s'instruire, mais comme si elle voulait instruire les autres ; non comme une élève, mais comme une maîtresse future. 

                                                                               Goethe, Affinités Sélectives, Chapitre III


                          Ce que nous enseignent les enfants en
                    difficulté d'écriture et de lecture



  Quel lien existe-t-il entre la souffrance psychique et l'apprentissage scolaire ?

Peut-être pas exactement celui auquel on s'attend : dans un contexte médical, par exemple, on entend parler de « l'handicap » d’un enfant « dyslexique », ou bien on rencontre ailleurs (ou parallèlement) des explications de l'ordre de «si cet enfant a des difficultés à apprendre, c'est bien parce qu'il a des problèmes à la maison … ». 
Loin des ces positions cherchant aujourd'hui à assimiler les difficultés d'écriture des enfants à un handicap (nommé souvent « dyslexie ») ou à les psychologiser, la psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets du langage et de la lettre sur les êtres parlants. C’est dans ce contexte précisément que la découverte de Freud reste toujours actuelle et subversive. Les thérapeutes qui aujourd’hui inscrivent leur pratique dans cet héritage, tentent à penser ce qu’ils rencontrent dans leur clinique en termes d'inconscient  -  et d'écriture. Au-delà des différences théoriques au sein même du champ thérapeutique, on pourrait affirmer que les difficultés d'écriture nous apparaissent non pas comme un déficit, un handicap, mais en tant que symptôme. C’est-à-dire que les difficultés qu’a un enfant qui vient nous voir nous apparaissent comme une manière toujours singulière de répondre à une question qu’il se pose.

Dans le cadre du dialogue multidisciplinaire de cette journée, nous aimerions partager avec vous ce que nous enseignent les enfants en difficulté d'écriture et de lecture qui viennent nous voir, et comment nous entendons ce dont ils viennent témoigner. Pour commencer, quelques mots sur ce que signifie ce terme d'écriture dans notre champ d'activité.

 

 

      « Ce que nous enseignent les enfants... » tente à marquer la place particulière des thérapeutes face aux enfants. La notion d'écriture prend pour nous une signification spécifique. Dans une métaphore célèbre, Freud va jusqu'à comparer le fonctionnement du psychisme (avec ses trois sous-systèmes du  conscient, du préconscient, et de l'inconscient) à un dispositif d'écriture : le bloc- notes magique, appareil assez paradoxal, ayant ceci de particulier qu'il permet à la fois la sauvegarde (dans le système inconscient) et l'effacement (dans le système perception-conscience) de traces de perception inscrites sur ses différentes surfaces. La psyché peut donc elle-même être conçue comme un appareil qui imprime et archive. Le système où sont « stockées », archivées les traces mnésiques constitutives de la mémoire inconsciente, rature aussi ce qu’il sauvegarde : c’est l’opération de refoulement qui assure la sauvegarde de traces mnésiques. Ce qui revient à dire que nous avons oublié une partie de notre savoir. L'étymologie du terme  écriture  - faire incision -rappelle cette violence oubliée et constitutive du sujet, qui, pour cesser d'être l'objet d'un Autre, et pour accéder à l'écriture, doit payer un prix de plusieurs renoncements, et doit disparaître pour naître. Dans son exposé, Gérard Cotté discutera de deux logiques qui se distinguent précisément par le rapport qu'a chacune au manque : une logique de la compensation (ou on cherche à donner toujours plus à un enfant supposé souffrir d'un manque) et une logique du symptôme et de la causalité subjective, centrée sur le discours singulier de chaque enfant et de sa famille. GC nous sensibilisera aux enjeux subjectifs de la symbolisation, et de l'accès à l'écriture ; il nous dira pourquoi le manque aux yeux des cliniciens n'est pas un déficit.     

       Le sujet de l'inconscient, celui qui nous intéresse, est un sujet  « barré », c'est-à-dire que la barre du refoulement le sépare de son savoir. Il est, en écrivant ou en n’écrivant pas, et cela se constate dans le geste d'écriture, impliqué avec son corps. Troisièmement, le sujet de l'inconscient est soumis à une autre temporalité, où le passé, avec tout son poids, ne cesse d’agir sur le présent. C'est aussi un sujet qui a pâti du langage, du signifiant, de la trace, de la lettre.

 

       La lettre, l'écriture, et l'inconscient sont donc liées : autrement dit, la  lettre occupe une place décisive dans l'inconscient, et l'écriture peut en devenir l'expression, comme le note le psychanalyste René Major, à propos d’une écriture particulière : Dans (le roman) La Disparition de Perec, soixante-dix-huit mille mots sans jamais la voyelle e. L'e muet du féminin de la langue surimprime par l'absence la présence de la disparition de la mère déportée. Ce qui s'inscrit après-coup dans l'écriture littéraire ou ordinaire,  renvoie donc à une écriture psychique faite de traces mnésiques, d'empreintes et d'impressions elles-mêmes à retardement (…)       La trace, l'empreinte, l'impression : voilà trois termes qui désignent aussi bien des phénomènes psychiques que littéraires. L'inconscient est écriture, ses manifestations sont à déchiffrer. D'où l'importance des  «ratés » de l'écriture, qui nous enseignent sur le désir du sujet.  

              

              

       La lettre apparaît donc comme ce qui noue les champs apparemment disparates de la clinique et de l'apprentissage scolaire, l'écriture étant à la fois l'expression et le fondement de l'activité psychique.

Nos rencontres avec les enfants au Cmpp nous apprennent donc quelque chose sur le rapport de la psyché à l'écriture, a la trace, a la lettre : chacun d'entre eux témoigne de manière irréductiblement singulière d'un rapport intime et fondamental avec la lettre,  et le manque qui les constituent comme sujets. Nous ne sommes pas en position d'enseigner quoique ce soit à un enfant qui vient nous parler. Nous sommes là pour l'écouter et l'accompagner. Nous sommes pas là pour expliquer les raisons d'un échec scolaire ou une entrée problématique dans l'écriture en termes extérieurs au sujet, pour faire une clinique de l'apprentissage ou de l'échec scolaire. Mais nous pouvons, grâce à un savoir que l'enfant nous suppose, occuper le temps d'une séance la place de celui ou celle qui lui restitue quelque chose de ce qu'il sait à son insu.

 

Dans l’écriture, il y a aussi le « tu » de l’adresse. Le rapport à l’écriture est aussi rapport à l’altérité et au langage, à l’Autre. Dans notre clinique, centrée sur le transfert, la relation au thérapeute est l’essor essentiel. P. Wartelle nous amènera maintenant sur cette Autre scène. Dans l’imprévu de la séance, où le bureau du thérapeute peut devenir écritoire, ces enfants dont on dit qu’ils ont du mal à s’inscrire dans la lecture et l’écriture nous font entendre des paroles qui rappellent celles des autres anciens mauvais élèves, qui ont eu du mal à apprendre à lire et à écrire : les paroles des grands écrivains. 



Susanne CALICE, Psychologue  

Publié dans Psychologues

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